Pour commencer, nous rappellerons quelques généralités essentielles pour comprendre le sens que notre courant politique donne au programme de transition.

Tout d’abord, la révolution n’est pas un putsch ou un coup d’Etat, c’est un mouvement de l’immense majorité de la population. C’est pourquoi notre courant politique essaye, dès que l’occasion se présente, de mettre en place le Front Unique afin de mettre au maximum en mouvement notre camp social pour augmenter son niveau de conscience de classe, et permettre une victoire qui lui donnera confiance pour ses prochaines luttes.

Mais la révolution implique une conscience de classe révolutionnaire très forte.

Elle ne nait donc pas d’une accumulation mécanique de lutte. Trotsky disait que « sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur ». La révolution peut donc se résumer de manière simplifiée en une dialectique entre le niveau de conscience de classe révolutionnaire, le programme révolutionnaire et le Parti révolutionnaire.

Pour notre courant, le programme que le parti doit propager dans les masses, pour les faire passer de la révolte à la révolution, de leurs luttes quotidienne pour leur survie à la lutte pour la conquête du pouvoir, est le programme de transition.

Il convient également pour cette introduction de revenir sur les notions de propagande et d’agitation.

La propagande, c’est aller loin dans la réflexion avec un nombre réduit de personne. La revendication de l’abolition de la monnaie est de la propagande car elle n’est compréhensible et imaginable que par très peu de gens.

L’agitation, c’est revendiqué des mesures peu radicales, mais les développer auprès d’une grande partie de la population. La retraite à 60 ans en France est de l’agitation. Quand on diffuse un tract on fait en général de l’agitation. Quand on a une discutions avec un contact, pour le convaincre de rentré dans notre parti, on fait en général de la propagande. Dans les périodes révolutionnaires, la propagande et l’agitation ont tendance à se rapprocher, voire à fusionner. C’est un des objectifs du programme de transition.

Qu’est ce que le programme de transition ?

Là encore, nous allons rappeler une banalité pour commencer. Nous pensons que quand une situation révolutionnaire se présente, la révolution doit se faire avec les masses telles qu’elles sont et non telles qu’elles devraient être, étant donné que les masses ne s’extrairont jamais de l’idéologie bourgeoise sous le capitalisme, mais qu’il faudra une période assez longue pour éteindre les préjugés qui existaient dans ce système.

Un programme révolutionnaire n’est pas quelque chose de statique, mais dépend de la dynamique de la lutte des classes. Certaines revendications posées justement par Trotsky en 1938, et qui à l’époque rentraient en confrontation frontale avec le capital, furent reprise par les réformistes dans les années 60-70, dans une période de paix sociale. D’autres revendications, comme l’armement systématique du prolétariat, sont totalement minorisantes en dehors de contextes particuliers. Cela n’enlève rien à la justesse de l’œuvre de Trotsky. Mais les clés de la révolution au XXIème siècle n’y sont logiquement pas données.

A partir de ces deux éléments, on peut énoncer le principe fondamental du programme de transition : construire un pont entre les revendications actuelles des travailleurs et la révolution socialiste, à l’aide de revendications transitoires qui partent du niveau de conscience actuelle et des conditions de vies actuelles des travailleurs et conduisent inévitablement à la nécessité de la prise du pouvoir par le prolétariat.

Il n’y a pas d’un coté un programme de revendications réalisables dans le cadre du système et de l’autre un programme de la révolution socialiste, mais un seul et même programme, qui fait évoluer dynamiquement des revendications légitimes auprès des masses en des revendications clairement anticapitalistes. Je vais user d’une image que j’aime bien : les revendications que nous avançons sont des perceuses, qui créent des brèches dans le capitalisme pour atteindre son cœur et le faire exploser (la révolution). Si l’on veut continuer sur cette image, la période qui suit la révolution balaye les miettes et construit quelque chose d’autre à la place, mais ce n’est pas le sujet de mon intervention.

Il ne sert à rien de jouer à la course à la radicalité. Une bonne revendication transitoire est une revendication qui, dans une période donnée, est susceptible de faire réfléchir un travailleur. Une revendication pas assez radicale pousse un travailleur à l’imaginer intacte dans le cadre du système. On peut avancer se type de revendications dans des combats défensifs pour le retrait des réformes, mais on avance en général en parallèle des revendications offensives, pour faire évoluer le niveau de conscience et convaincre les jeunes et les travailleurs mobilisés.

Une revendication trop radicale, sans en avancer d’autres avant, ne permet pas de déclencher une réflexion avec une personne, puisqu’elle a de forte chance de fuir parce qu’elle nous prend pour un fou, ce qui n’est pas très constructif.

Par exemple, en France pour le temps de travail : le NPA avance la revendication des 32h. Certes, on peut espérer que sous le socialisme, on travaillera moins que 32h. Si l’on avançait, par exemple, les 20h de travail, personne ne nous écouterait. Si l’on défendait simplement une bonne application des 35h, on ne pourrait développer notre propagande sur le fond du problème, c’est-à-dire, le partage du temps de travail entre tous, la suppression des activités inutiles et/ou nuisible à l’environnement, comme l’armement ou les voitures.

Notre programme n’est pas un programme électoral radical. On l’utilise bien sûr lors des échéances électorales, mais nous avons le même programme dans les luttes et dans les élections. Notre programme doit être considéré comme un programme d’action, un programme pour mettre en mouvement notre camp social. Les élections peuvent jouer un rôle dans la recherche de l’hégémonie dans certaines vieilles nations démocratiques, c’est un débat, mais sans luttes massives et radicales, il ne peut y avoir de révolution.

Un programme révolutionnaire ne peut s’adresser en intégralité aux larges masses que dans des périodes pré révolutionnaire ou révolutionnaire. La majorité du temps, il est réduit dans sa diffusion aux larges masses, et son intégralité n’est discutée qu’avec un nombre réduit de personnes curieuses.

Le programme ne fixe pas l’organisation de la future société mais avance des hypothèses d’organisation pour conduire, du comité de grèves à la généralisation des comités d’usines, les travailleurs à la prise du pouvoir politique. Le but n’est pas de prévoir étape par étape la prise du pouvoir, mais d’élaborer des hypothèses stratégiques, permettant d’éviter aux masses un saut dans le vide. Ces hypothèses doivent être rectifiées, voire totalement revues, en fonction de la situation réelle de la lutte des classes, des résultats des tests effectués dans la période et des initiatives des travailleurs.

Quelques revendications transitoires aujourd’hui

Le programme de transition n’est pas un programme d’action pour les mois à venir. C’est le programme d’action d’une période du capitalisme. Aujourd’hui, la période dans laquelle nous sommes est la crise du capitalisme, et plus précisément, la crise du capitalisme à son stade de financiarisation extrême.

C’est pourquoi, une revendication transitoire aujourd’hui, qui peut être avancé partout dans le monde, est la répudiation/l’annulation de la dette.

En effet, cette revendication pose des problèmes majeurs aux capitalistes.

D’abord, si on annule la dette de tous les pays, cela signifie que les pays du Tiers Monde pourront décider eux-mêmes de leurs investissements et de leur économie, et arrêteront de produire uniquement ce que les capitalistes avancés, incarné dans le FMI, leurs dictent.

En plus, annuler la dette provoquerait une crise énorme du système. Les marchés financiers chuterait violemment si on annuler la dette car le payement effectif de la dette et des intérêts de la dette ne se ferait plus. On peut imaginer le bordel que créerait dans le système une crise telle que celle des subprimes, à l’échelle des Etat et non des particuliers. Le capitalisme ne se renverserait pas tout seul avec cette mesure. Mais il connaitrait une énorme crise, qui pourrait nous permettre de prendre le pouvoir pendant que les capitalistes tenteront de trouver une nouvelle organisation du monde.

Dans certains pays, cette revendication va rester pendant assez longtemps de l’ordre de l’agitation, sans que les travailleurs la relayent effectivement. Mais en Grèce par exemple, cette revendication peut être avancée par une grande partie de la population. Un autre exemple, lors du tremblement de terre en Haïti, beaucoup de personnes on été touché par cet événement. On aurait pu avancer le fait qu’aider Haïti financièrement était inutile si on n’annulait pas la dette de ce pays.

Nous allons maintenant développer des revendications transitoires autour de l’emploi et du pouvoir d’achat dans les pays capitalistes avancés.

Ces derniers mois, nous avons vu beaucoup d’usines qui ont licenciées. En réaction nous avons avancé la revendication de l’interdiction des licenciements. Elle a été reprise par pas mal de boites en lutte. Cette revendication est accessible à une grande partie de la population, car quand on est sur le point de perdre son travail, on a envie de le sauver, et on peut être moins influencé par le discours dominant. Mais cette revendication audible par beaucoup de travailleurs nous permet également de développer notre propagande. On peut avancer la revendication de l’ouverture des livres de comptes des entreprises, du contrôle ouvrier sur la production, et la prise de contrôle de l’outil de production. Chez Molex en France, la reprise de la production par les ouvriers a été très proche de se faire.

Nous avançons également la revendication de l’augmentation des salaires. Dire qu’il faut 1500€ par mois, ça peut paraître une revendication très molle voire réformiste. Sauf qu’en avançant cette revendication, on peut développer notre propagande sur le fait que le capital a repris 10 point au travail en 30 ans, et qu’il faut les récupérer. On peut également parler du contrôle de l’outil de production, etc. L’autre revendication classique du mouvement ouvrier que nous avançons est la diminution et le partage du temps de travail. Il y a des millions de chômeurs, il parait donc logique de diminuer le temps de travail de chacun pour le partager, sans baisse de salaire. Ainsi, on peut à nouveau développer notre propagande sur le partage des richesses, mais aussi sur l’arrêt des activités inutiles ou nuisible comme je le disais tout à l’heure.

Une question importante en ce moment en Europe, est celle du salaire socialisé, et surtout des retraites. Avancer des revendications offensives en plus de la défense des retraites nous permet de convaincre des gens au delà de la simple défense de la retraite à 60 ans (en France). Mais sur la question du salaire socialisé, on peut aussi avancée la revendication du salaire jeunes pour tous de 16 à 25 ans, équivalent au SMIC. On peut ainsi discuter avec des jeunes sur le rôle de la famille dans le capitalisme, sur le besoin et la nécessité d’autonomie pour s’émanciper, sur le fait que les jeunes scolarisés sont des jeunes travailleurs en formation, et qu’ils doivent donc être payé sur le même fonctionnement que la retraite par répartition. Ainsi, sur la question du salaire socialisé, on peut dire que plus on augmente les salaires et plus il y a de travailleurs, plus on a d’argent pour les caisses sociales, et donc on peut avancer nos revendications par un autre biais.

Un dernier axe revendicatif, moins évident pour notre courant politique, mais tout aussi essentiel, est autour des questions d’écologie. Une revendication transitoire aujourd’hui peut être la nationalisation sous contrôle ouvrier du secteur énergétique. Ce serait le seul moyen pour avoir une politique écologique conséquente, et pour accomplir les changements majeurs nécessaires. Mais ça va à l’encontre de toutes les politiques du FMI, de l’OMC, de l’UE, etc. qui vise à privatiser et atomiser l’énergie en l’ouvrant à la concurrence. Cela impliquerait une politique de relance de l’Etat, des grands investissements et des fermetures de marché au privé. Donc, d’une part un effort financier dont les Etats ne sont pas capables, et d’autre part, une perte de productivité » passagère qui serait inassumable pour les capitalistes dans le cadre de la concurrence mondiale. En partant de cette nécessité de base cela implique des luttes énormes contre le capitalisme.

Sur cette question, notre propagande peut assez vite fusionner avec notre agitation. Loin de sous estimer cette question, il faut en faire un axe central de notre programme, car le dérèglement climatique est une des preuves les plus visibles de la barbarie capitaliste, une preuve que la classe dominante a du mal à masquer avec sa propagande. Aujourd’hui une petite revendication peut entrer en contradiction avec le capitalisme.

A la fois, c’est plus dure de retrouver la confiance dans les luttes et la conscience de classe, et en même temps, les confrontations s’accélèrent et se radicalisent réellement.

Maintenir la retraite à 60 ans alors qu’elle a été mise en place par un gouvernement de gauche sans lutte énorme dans les années 80, nécessite aujourd’hui une grève générale.

La tache des révolutionnaires aujourd’hui est de trouver des leviers pour remettre en cause le capitalisme et pour construire la grève générale et la transformation révolutionnaire de la société.