Meeting du NPA le 8 février à Paris – Intervention d’Irina, du NPA-Jeunes

Nous étions 400 000 selon les syndicats, à coup sûr plus de 100 000 hier dans les rues de Paris et plusieurs millions en France à prendre part aux dernières manifestations. Les jeunes sont de plus en plus visibles dans le mouvement. Nous nous retrouvons dans des AG à parfois plusieurs centaines, comme à Rennes. Nos universités se mettent en grève et les lycéens organisent les blocages de leurs établissements depuis plusieurs jours. Les étudiants et les étudiantes ne se laissent pas faire, et hier, notre cortège « interfac » parisien était massif.

C’est pas mal non ? Le mouvement est encore petit, mais il deviendra grand ! Et il inquiète déjà. Un vieux ministre quelconque aurait déclaré : « Si les gosses sortent, on est foutus ! »

Ceux à qui nous faisons peur, la droite, le gouvernement, et ceux qui répètent leurs âneries nous demandent ce qui nous prend, nous les jeunes, de rejoindre les cortèges de salariés, de nous préoccuper des retraites à notre âge, de prétendre pouvoir nous prononcer sur la réforme.

D’abord ils oublient que des centaines de milliers de jeunes ont déjà fait l’expérience du travail, c’est-à-dire de l’exploitation, et même un bon paquet d’étudiants ! Beaucoup d’entre nous fréquentons des milieux populaires et nous connaissons bien l’exploitation, les bas salaires, les conditions de travail éreintantes et tout le reste… donc on comprend bien que deux ans de plus avant la retraite, c’est inacceptable !

Leur morale et la nôtre : le droit à la paresse !

Une première chose qui ne passe pas, c’est toute la morale que Macron et ses amis du patronat nous font sur la valeur du travail. Aucun d’entre eux n’a jamais vraiment travaillé ni été au chômage. Sérieusement, une des réformes qu’ils nous proposent pour lutter contre, c’est de transformer Pôle emploi en « France Travail » !

Avec eux, il faudrait travailler, toujours plus, plus longtemps, plus dur, et ceux qui ne l’accepteraient pas seraient des flemmards. Eh bien nous l’assumons clairement : on veut travailler moins, et même beaucoup moins ! Comme l’écrivait le vieux Marx dans Le Capital : « La réduction du temps de travail est la condition fondamentale de la liberté. » Son gendre, Paul Lafargue, prônait même « le droit à la paresse », qu’on devrait toutes et tous revendiquer !

On sait que la lutte pour la diminution du temps de travail, la lutte pour échapper le plus possible à l’esclavage salarié, est, dès le départ, constitutive du combat ouvrier et du combat communiste.

La révolution de 1848 avait légalement limité le temps de travail à dix heures par jour à Paris. La Commune a interdit le travail de nuit. Durant des décennies et jusqu’à ce que la révolution russe permette de l’obtenir, la journée de huit heures a constitué, à l’échelle mondiale, une bataille et un programme pour le mouvement ouvrier. Puis des luttes ont été menées pour la semaine de 40 heures, arrachée en France par les grèves de masse des années 1934, 1935 et 1936. Puis ont été conquis aussi des congés payés, des vacances pour vivre un peu, souffler un peu, se livrer à des activités créatrices, des passe-temps…

Lutter pour la réduction du temps de travail, c’est lutter pour le temps de vivre, mais c’est aussi une réponse à l’organisation aberrante de cette société où, d’un côté, certains sont jetés au chômage, tandis que les autres voient se durcir leurs conditions d’exploitation, avec des salaires maintenus bas – les patrons faisant le calcul que la crainte du chômage fera tout accepter.

Pour ne citer que quelques chiffres récents : plus de 58 000 personnes ont été radiées des inscrits à Pôle emploi en novembre dernier. Un chiffre qui n’avait jamais été atteint depuis que les statistiques du chômage existent sous cette forme ! Radier une personne, c’est lui couper les vivres et la forcer à accepter n’importe quel emploi, quelles qu’en soient les conditions. Dans la même logique : la réforme de l’assurance chômage passée en décembre vise à réduire de 40 % la durée d’indemnisation.

Le message il est clair : travaille et ferme ta gueule.

Et ça va encore plus loin. Dans le secteur de la santé, Macron l’a dit, il faut « réorganiser le temps de travail à l’hôpital ». Une réforme qui doit aboutir d’ici juin et dont la mesure phare est… l’abolition des 35 heures et la fin du paiement des heures supplémentaires.

Ils veulent nous faire travailler plus, minute par minute, jour par jour, semaine par semaine, année par année et même vie par vie ! Mais il ne faut pas oublier que dans de nombreux lieux de travail, des tâches qui détruisent la santé et qui ne devraient pas être effectuées pendant plus de quelques années, sont imposées par le patronat à des millions de travailleurs et de travailleuses.

Sans surprise, toute cette politique au service du patronat, ça rapporte. Selon l’indice MSCI Europe, qui couvre les principales capitalisations boursières des pays européens les plus riches, les dividendes versés par les entreprises européennes en 2022 étaient de 382 milliards d’euros. Une progression de 23 % par rapport à 2021. L’exploitation des uns, c’est les profits des autres.

Pour la réduction du temps de travail

Alors oui, nous sommes pour la diminution du temps de travail, et pas pour son allongement ! Pour nos aînés mais pour les jeunes aussi ! On veut le temps de vivre et l’énorme progression de la productivité du travail humain le permet. Diminuer le temps de travail est une mesure d’urgence et de transition, à arracher au patronat par le rapport de force. L’expropriation des capitalistes et les bases d’une nouvelle société, fondée sur les besoins et non sur les profits, devrait ouvrir la voie à un mode de production collectif favorisant le temps libre.

Dans une société libérée du profit, pas besoin de trimer 35 heures, 40 heures, voire 45 heures ou plus par semaine, sans même le paiement des heures supplémentaires comme cela est devenu la norme dans beaucoup de boîtes.

Dans les années 1970, des sociologues et scientifiques avaient calculé qu’en rationalisant la production, en éliminant des productions nuisibles comme celle d’armements, ou des secteurs inutiles comme les compagnies d’assurances, on pourrait ne travailler que deux heures par jour, peut-être moins même, à des tâches ingrates mais nécessaires à toute la société, et ensuite… la vie ! Des activités individuelles et collectives de tous ordres, artistiques, scientifiques, artisanales, éducatives… Dans une telle société, il n’y aurait pas de problème de « retraite » tel qu’il se pose aujourd’hui, d’un âge où certains n’en peuvent plus, sont au bout du rouleau…

Travailler moins, c’est aussi ce qui permet de produire mieux. Et ce n’est même pas nous qui le disons ! Des think-tanks comme Autonomy s’amusent à montrer le lien entre émissions de CO2 et temps de travail. Selon eux, il ne faudrait pas travailler plus de neuf heures par semaine pour respecter les engagements de la COP 21. Depuis plus d’un siècle, on sait que les progrès techniques nous le permettraient.

Le temps libre, le temps de vivre, c’est ce qui permet de faire société. D’élever, d’éduquer et d’instruire les enfants sans, par exemple et au hasard, que ces activités ne reposent sur la seule famille et le déséquilibre des tâches.

Non, on n’a pas envie de cette vie-là, on n’a pas envie de perdre notre vie à la gagner. On aurait envie que personne ne perde sa vie et sa santé à la gagner.

Ceux qui veulent nous dicter nos modes de vie : c’est la bourgeoisie réactionnaire.

Non au racisme social et à la loi anti-immigration du gouvernement

Et à nous les jeunes, du moins à toutes celles et tous ceux qui ouvrent les yeux sur cette société, quelque chose n’a pas échappé : c’est que les boulots les plus durs, ceux qui obligent à se lever tôt, ceux qui payent le moins, sont largement occupés par cette partie de la classe ouvrière qu’on dit « issue de l’immigration ». Des travailleurs, et leurs familles quand elles ont pu venir, originaires d’anciennes colonies de la France impérialiste.

Une bonne partie de la bourgeoisie réactionnaire, qu’on a vu fleurir dans les dernières élections autour des Zemmour, des Marine Le Pen, des Ciotti ou des Pécresse, et la bonne vieille droite catholique, affichent à leur égard non seulement du mépris social mais de la haine raciale. Les deux font la paire. Et le gouvernement en rajoute, en particulier avec cette nouvelle loi Darmanin sur l’immigration. Qu’est-ce que c’est que cette loi scélérate ? Ce sera la vingt-deuxième sur le sujet depuis 1986. Elle vise à affiner la « sélection » et à durcir la répression dont sont victimes ces travailleurs. C’est menacer d’expulser les uns pour surexploiter les autres.

De quoi exciter les députés du RN ? Bien hypocrites, car ils savent qu’il s’agit de faire le bonheur de leurs amis patrons. Certains craignent peut-être que la nouvelle législation conduise à des contrôles plus systématiques sur les chantiers ou dans les cuisines. Mais ce n’est pas le but, pour ça vous pouvez toujours y aller les yeux fermés ! La crainte est largement infondée car cela fait des années que les pouvoirs publics laissent faire le travail ouvertement dissimulé. Et ça va y aller, avec l’exploitation sauvage de travailleurs pour assurer le succès des Jeux olympiques de Paris. Nombre d’entre eux, venus d’Afrique de l’Ouest, du Portugal, de Turquie ou de pays arabes, n’ont ni contrat de travail, ni fiche de paie, ni congés payés, ni bien sûr retraites. Ces Jeux olympiques de 2024, ce ne seront pas seulement des athlètes dopés à l’excès pour défendre un semblant de prestige national, ce sera et ça l’est même déjà, la surexploitation sur des chantiers.

Non à l’extrême droite

Et j’en arrive à une mention spéciale pour l’extrême droite, ou plutôt contre l’extrême droite.

Tout en s’opposant aux grèves, aux augmentations des salaires, en demandant la baisse des « charges » (c’est-à-dire des cotisations sociales que les patrons ont à payer) et en s’alliant souvent allégrement avec les députés de Macron, Le Pen se déclare opposée à la réforme des retraites. Dans les universités, les bourgeois de la Cocarde étudiante disent aussi y être opposés. D’autres nazillons paradent ici ou là. Et la pression d’extrême droite est multiforme : ici des menaces de mort sur un maire qui monte un projet pour accueillir des migrants, là des menaces contre une professeure de classe préparatoire du Nord qui ose prévoir d’emmener ses étudiants à Calais, des menaces sur les drag-queens, ou même, dans un registre ridicule, les pressions mises sur la Fnac pour qu’elle retire de son catalogue le jeu « Antifa ».

Oui ça va loin.

Ça va loin aussi du côté de Darmanin, qui surenchérit.

Comme avec ces deux « dangereux terroristes » arrêtés à Montparnasse il y a quelques semaines à grand renfort de couverture médiatique, et qui étaient en réalité deux sans-logis, un Français de 51 ans et un Libyen de 29 ans en possession de réchauds de camping. À l’inverse, on a vu comment cette République avait géré le taré qui a assassiné trois militants kurdes en décembre. Alors que celui-ci était déjà connu pour avoir attaqué des migrants au sabre, ce sont ses victimes qui avaient été déférées pour « violence en bande organisée », tandis que l’auteur de la tuerie n’avait même pas été interdit de port d’arme et avait un arsenal chez lui !

Mais attention, l’extrême droite se veut aussi force de propositions, en proposant une relance de la natalité. Parce que si les gens faisaient plus de gosses, ça ferait plus de futurs cotisants pour les retraites ! Idée de génie ! Mais comme ça n’a pas l’air de faire l’unanimité, il faudrait nous y inciter ! Sauf que si on ne veut pas de gosses, personne ne nous forcera à en porter et surtout pas la famille Le Pen !

S’il y a une manière de faire taire l’extrême droite, c’est d’imposer les revendications du monde du travail :Réduction et partage du temps de travail, et sans diminution de salaire !Pas un salaire et une pension inférieurs à 2 000 euros net !

Ouvriers français et immigrés, mêmes patrons, même combat !

C’est une lutte bien sûr, dans laquelle prend toute sa place celle contre le projet scélérat de réforme des retraites. Il n’y a rien à négocier ! Il faut le retirer !

Pour conclure

Pour conclure, si les conditions du travail se durcissent, avec ce projet scélérat contre les retraites, si les États sont autoritaires et l’extrême droite se renforcent, c’est que leur monde ne tient pas debout. Depuis 2008, les grandes puissances n’arrivent pas à stabiliser la situation mondiale. La dynamique du capitalisme durcit l’exploitation, réactualise les confrontations entre puissances, les conflits armés, les raidissements autoritaires et ce y compris au sein des pays riches et prétendus démocratiques.

En face, on observe le développement de mobilisations de masse, de soulèvements insurrectionnels sur plusieurs continents : tout récemment en Iran et au Pérou. C’est un fait que face à ce monde, il n’y aura pas de négociations possibles. Il faudra tout renverser.

À la fin de l’année dernière, Darmanin a passé une commande de plus de dix millions de grenades lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de fumigènes pour flics et CRS. Avant même de mettre en place sa réforme, alors que les syndicats négociaient et, attentistes, n’appelaient à rien, alors que la FI déposait au moins sa dixième motion de censure à l’Assemblée, le gouvernement se préparait à l’affrontement. À la jeunesse révoltée de faire de même, à la classe ouvrière dans son ensemble de faire de même.

Pour creuser les divisions des deux côtés de la Méditerranée en niant les crimes de 132 ans de colonisation et le million de morts de la guerre d’Algérie, Macron disait récemment : « La France n’a pas à s’excuser auprès de l’Algérie pour l’époque coloniale. » Nous, complètement à l’opposé, on reprend le mot d’ordre des manifestants du Hirak : « Système dégage ! » Et par système, on entend le système capitaliste.